
On dit souvent que l’industrie du BTP est lente à changer. Mais que se passe-t-il quand deux anciens ingénieurs, l’un passionné par les ponts, l’autre par l’intelligence artificielle, décident de repenser la manière dont on gère les risques sur les grands projets d’infrastructures ? C’est toute l’ambition d'Enlaye | Built-World Risk AI, la start-up fondée par Philippe Rival et Stamati Liapis, deux anciens camarades du lycée international de Saint-Germain-en-Laye, qui se sont retrouvés des années plus tard à Boston avec une vision commune : digitaliser intelligemment la gestion du risque dans le secteur de la construction.
Enlay n’est pas née dans un incubateur classique, mais sur le terrain, entre des chantiers Vinci à plusieurs centaines de millions et les salles de classe de Harvard. Ce que Philippe Rival a vu sur le terrain, c’est la réalité d’une passation souvent bancale entre les phases de conception et d’exécution. Un moment critique, où l’on transfère la responsabilité du projet à l’équipe travaux, sans toujours transférer l’information correctement. Résultat : malentendus, pertes d’historique, et surtout, une vision du risque qui se dilue.
C’est là qu’Enlay entre en jeu : leur technologie permet de mieux structurer cette passation, en capitalisant sur la mémoire projet et en assurant un suivi continu du profil de risque, de la réponse à l’appel d’offre jusqu’à la livraison. L’idée n’est pas de remplacer les savoir-faire humains, mais de les amplifier. Et surtout, de ne pas imposer une énième usine à gaz. « Si votre plateforme oblige à changer les habitudes, elle ne sera jamais adoptée sur les chantiers », affirme Philippe. Le credo d’Anlet, c’est de s’adapter aux processus existants et de les fluidifier.
En pratique, cela se traduit par des “assistants risques” — des IA conçues pour lire, interpréter et transmettre les engagements contractuels, techniques et environnementaux du projet. L’objectif ? Réduire les zones d’ombre, fluidifier la collaboration entre client et maître d’œuvre, et prévenir plutôt que guérir. L’outil se veut aussi simple qu’un moteur de recherche, mais doté d’une capacité de contextualisation très fine, propre au secteur du BTP.
L’exemple le plus parlant, selon Philippe, c’est le suivi de la performance environnementale. Chaque projet est unique, chaque engagement aussi. Et pourtant, les équipes de terrain doivent souvent tout reprendre à zéro pour produire les mêmes rapports. Grâce aux agents d’Enlay, les données sont harmonisées, les exigences intégrées dès l’appel d’offres, et les reportings générés automatiquement en fonction des spécificités du projet.
Mais le cœur du projet va au-delà de la conformité. L’ambition est de créer une plateforme de gestion du risque complète, qui ne serve pas uniquement à ceux qui construisent, mais aussi à ceux qui financent : investisseurs, assureurs, bailleurs. En modélisant finement le risque à l’échelle de chaque projet, Enlay entend ouvrir la voie à une évaluation plus juste, plus granulaire, plus opérationnelle de ce que signifie “prendre un risque” dans le BTP.
Évidemment, des freins subsistent. La culture du cloisonnement dans l’industrie, le scepticisme vis-à-vis des IA, la peur de la fuite d’information... Mais Philippe est confiant. D’abord parce qu’Anlet repose sur des modèles IA open source (LLaMA, Mistral...), hébergés en interne pour garantir la confidentialité. Ensuite, parce que la complexité du terrain est prise au sérieux : les développeurs d'Enlay ne codent pas des fonctionnalités déconnectées, ils modélisent la complexité du monde bâti, ses logiques, ses silos, ses contraintes humaines et contractuelles.
Et surtout, parce que le terrain veut avancer. Les ingénieurs de chantier ne rêvent pas de remplir des tableaux Excel ou de refaire quinze fois le même rapport. Ils veulent construire. Et ils savent qu’aujourd’hui, construire, c’est aussi mieux documenter, mieux suivre, mieux transmettre.
Enlay veut être cet outil qui fait le lien. Pas celui qui remplace, mais celui qui fluidifie. Et dans une industrie où les marges se jouent souvent à 3 ou 5 %, c’est là que se trouve la différence.
Au fond, c’est cette rencontre entre passion de l’infrastructure et exigence technologique qui fait la force d’Enlay. Et dans un monde où les projets sont de plus en plus complexes, de plus en plus régulés, mais aussi de plus en plus nécessaires, cette approche sobre, appliquée et ancrée dans le réel pourrait bien faire la différence.
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